Jérôme Dumarty

« Le gavage est une véritable torture pour les oiseaux »

Entretien avec Jérôme Dumarty, président de Stop Gavage Suisse

27.8.2020

Pouvez-vous vous présenter brièvement ? 

Je milite pour les droits des animaux depuis 25 ans. D’origine française et établi en Suisse à Lausanne depuis 2010, j’ai participé activement aux associations animalistes locales et a été l’un des principaux organisateurs de la Veggie Pride Internationale de 2013 à Genève. Je suis aussi proche de l’association française L214 qui mène depuis longtemps une campagne contre le foie gras. En 2014, je me suis retiré des actions de terrain pour me consacrer à l’étude approfondie du sujet du foie gras en Suisse.

Depuis quand êtes-vous impliqué au sein de Stop Gavage Suisse ? 

Après deux ans d’études et de recherches sur la question du foie gras en Suisse, j’ai fondé l’association Stop Gavage Suisse en janvier 2017. Je suis donc non seulement impliqué depuis le début de l’association, mais aussi un de ses cofondateurs.

Qu'est-ce qui vous a motivé à créer Stop Gavage Suisse et à vous engager sur le thème du foie gras ? 

Après des années de militantisme pour les animaux, sur tous les sujets possibles de la cause animale, j’avais envie de me spécialiser sur une question précise afin de bien maîtriser les différents aspects de cette question et agir de manière plus efficace. 

Le choix du thème du foie gras m’a semblé tout désigné. Tout d’abord, j’avais déjà une assez bonne connaissance de la méthode de production, grâce au travail de L214 en France. Mais surtout, je me suis rendu compte que le gavage était déjà interdit en Suisse depuis longtemps et qu’il n’y avait donc pas de production suisse de foie gras, et de plus la majorité des Suisses n’en consomme pas.

La question semblait donc idéale pour arriver à une victoire assez rapide pour la cause animale, contrairement à d’autres sujets comme le lait par exemple, qui sont plus ancrées dans les pratiques suisses.

Jérôme Dumarty

Comment avez-vous rencontré Joy ? 

Nous connaissions déjà la personne qui s’occupe aujourd’hui de Joy. Elle possède un étang et avait déjà récupéré des canards mulards. Nous avions l’idée de faire un sauvetage depuis longtemps. Non seulement pour les oiseaux eux-mêmes, mais aussi pour les montrer, montrer leur évolution, via les réseaux sociaux, afin que les gens les voient comme des individus à part entière et plus comme des fournisseurs d’organes…

Lorsqu’on en a parlé avec leur future maman d’adoption, elle a tout de suite été d’accord. Ensuite, nous avons trouvé l’occasion de sortir Jay et Joy, le jour de leur naissance, du couvoir industriel où ils sont nés, avant qu’ils ne soient tués car non-conformes aux standards de cette filière. C’était le début de l’aventure, pour eux comme pour nous.

Joy a pu être sauvé d’une filière du foie gras. Pourquoi la méthode du gavage est-elle si grave ? 

Le foie gras est un foie qui souffre de stéatose hépatique, une maladie proche de la cirrhose humaine. Le foie décuple de taille et se remplit de graisse, au détriment de ses autres composants, et n’arrive plus à assurer ses fonctions dans l’organisme de l’oiseau.

Le gavage est la méthode utilisée pour provoquer cette maladie qui est vraiment le but avoué des producteurs de foie gras.

Dès que les canards ont atteint leur taille adulte, au bout de trois mois, ils sont mis dans des cages, dans des halles de gavage, où le gaveur va leur injecter dans le jabot - poche située à l’extrémité de l’œsophage, juste avant l’estomac - , à l’aide d’un tube métallique relié à une pompe hydraulique, de grandes quantités de purée de maïs, deux fois par jour. Au bout de deux semaines, les canards sont envoyés à l’abattoir et leur foie vendu comme foie gras.

Le gavage est une véritable torture pour les oiseaux, ce qui est scientifiquement reconnu par les experts européens (notamment dans le rapport de l’EFSA de 1998), bien que la filière française essaye de minimiser les souffrances des canards. Mais il n’est pas nécessaire d’être un expert pour se rendre compte de cette réalité : un simple visionnage des images tournées par L214 dans les halles de gavage françaises permet de s’en rendre compte.

Le gavage permet de fabriquer du foie gras mais de nombreux autres produits proviennent également de canards et oies gavés. Pouvez-vous en donner quelques exemples ? 

Un des produits secondaires de la production de foie gras est le magret de canard ou d’oie. Il s’agit d’une invention assez récente de la filière foie gras. En effet, avec l’industrialisation dans les années 80, la filière s’est retrouvé avec des millions de carcasses de canards dont il fallait bien faire quelque chose. En appelant “magret” cette partie du poitrail de l’oiseau recouvert d’une épaisse couche de graisse, la filière créa de toute pièce une nouvelle spécialité. Ainsi, lorsqu’on achète du magret, on achète toujours un morceau de canard gavé.

Un autre produit qui peut être issu de la filière, c’est le duvet et les plumes de canards ou d’oies. Ceux-ci peuvent se retrouver dans des doudounes, matelas, canapés, etc. étant donné la quantité d’oiseaux utilisée par la filière foie gras, il est à peu près certain que lorsqu’on achète un produit contenant du duvet ou des plumes de canard ou d’oie, ceux-ci proviennent d’oiseaux gavés.

Le gavage des canards et des oies est interdit en Suisse depuis 1978. Néanmoins beaucoup de foie gras est importé. En quoi est-ce un problème ? 

Près de 300 tonnes de foie gras sont importés en Suisse chaque année, ce qui fait de la Suisse le premier importateur de foie gras au monde après la France.

Le problème est multiple. En important sans restriction alors que le gavage est interdit, pour des raisons de bien-être animal, on viole l’esprit de la loi, qui condamne justement cette pratique. Faire faire à l’étranger une chose que l’on condamne ici, c’est de la pure hypocrisie.

D’autre part, c’est aussi déloyal pour les paysans suisses qui n’ont pas le droit d’en produire, et on estime à plusieurs dizaine de millions l’argent qui leur reviendrait si le foie gras était interdit.

Pourtant, il serait possible, même au regard des traités internationaux, de faire interdire le foie gras en Suisse. Les accords du GATT, par exemple, prévoient une exception à l’obligation de libre-échange, pour des raisons de moralité publique. Or en Suisse, la majorité des gens refusent le foie gras, et d’autre part c’est pour des raisons éthiques que le gavage est interdit.

Et enfin, lorsqu’on peut trouver en vente libre un produit de la torture comme le foie gras, on renvoie implicitement le message que ce n’est pas si grave, qu’il n’y a pas vraiment de problème. Les consommateur-trice-s se disent que si c’était vraiment grave, on ne pourrait pas le trouver au restaurant ou dans les magasins. On banalise ainsi la torture et la violence, et on affaiblit la crédibilité du législateur.

Que peut faire chaque individu pour éviter que les canards et les oies ne soient gavés ? 

La première chose à faire, c’est bien entendu de refuser de consommer les produits de la filière : le foie gras, le magret et les plumes. L’idéal c’est de ne jamais en consommer de foie gras, pas même une fois. En effet, les gens n’en mange habituellement qu’une ou deux foie dans l’année, et pourtant cela suffit à faire tuer un millions d’oiseaux rien qu’en Suisse.

Si la situation s’y prête, il faut aussi essayer d’expliquer son boycott. En effet, le boycott en lui-même ne suffit pas. On le voit à l’échelle de la Suisse où 70% des personnes n’en consomment pas, ce qui n’empêche pas la Suisse d’être la première à en importer. Il faut essayer de rendre inconfortable la consommation de foie gras à son entourage, mais attention à “l’effet boomerang” : il faut savoir écouter l’autre et attendre le moment propice pour lui expliquer notre choix. Ce n’est pas lorsqu’il ou elle s’apprête à engloutir sa tartine de foie gras que notre interlocuteur-trice est le plus réceptif-ve à nos arguments. Au contraire, on risque, par un mécanisme de défense psychologique, de le ou la renforcer dans son choix si on le ou la frustre ainsi. Parfois, proposer une alternative végétale au foie gras permet de trouver un compromis acceptable par tou-te-s.

Et bien sûr, on peut s’engager dans l’activisme, soit en devenant membre ou bénévole de Stop Gavage Suisse, soit en faisant un don pour nous permettre de mener nos actions d’information et de lobbying.

Comment palmipèdes se comportent-ils lorsqu’ils évoluent dans des environnements appropriés à leur espèce ? 

Les canards et les oies sont des animaux aquatiques. Ils ont besoin d’un plan d’eau pour vivre pleinement, pour se nourrir et se protéger. D’autre part, ce sont des animaux sociaux, qui ont besoin de faire partie d’un groupe pour se sentir bien. C’est ce qu’on observe chez les mulards, les oies et en fait chez la plupart les oiseaux aquatiques.

Sinon, le lissage des plumes, la recherche de nourriture, la sieste au soleil sont leurs activités favorites...

Que réclame Stop Gavage Suisse ? 

Nous souhaitons une interdiction du foie gras en Suisse, et idéalement de tous les produits issus de la filière foie gras.

De quelle manière Stop Gavage Suisse et QUATRE PATTES soutiennent-ils les canards et les oies ? 

Les deux axes d’actions pour soutenir les canards et les oies sont l’information au grand public et le lobbying politique. Le sauvetage de canards mulards est en soit une action directe de soutien aux canards, mais aussi une manière de sensibiliser le public à la réalité de la production de foie gras.

L’information au public passe par des stands, des campagnes de publicité, des sondages et bien entendu des publications sur les réseaux sociaux. Elle est nécessaire pour maintenir et renforcer le rejet du foie gras dans la population suisse.

Le lobbying consiste à identifier, rencontrer et convaincre les décideurs politiques sur la question. Le rejet du foie gras par la majorité de la population aide à convaincre les politiciens de soutenir la cause, et finalement de proposer des interventions demandant l’interdiction du produit, comme c’est le cas actuellement avec la motion Haab. Inversement, lorsque le produit sera interdit, les personnes qui consomment encore ce produit pourrons plus facilement s’en passer.

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